Ma première grossesse a été suivie par un gynécologue en milieu hospitalier. Même si je rêvais d’un accouchement suivi par une sage-femme en maison de naissance, j’ai choisi l’hôpital. J’avais peur de l’incertitude, de ne pas savoir si j’allais pouvoir rester à la maison de naissance, si je devais être transférée en plein travail ou si le projet pourrait ne pas être mené à bout à cause de complications. J’ai choisi alors la certitude, le lieu le plus médicalisé et le médecin. Je me disais que même si le pire devait arriver, je ne pouvais être transférée nulle-part ailleurs. Cela m’a donné de la paix, mais en même temps durant toute la grossesse j’ai lutté contre les interventions – qui pourtant en comparaison avec des médecins dans le privé, étaient encore assez limitées.
Le jour de mon premier accouchement, on m’a diagnostiquée une pré-éclampsie. Une maladie liée à la grossesse, qui n’est guérie que par l’accouchement. Elle se traduit par une pression artérielle élevée, de la rétention d’eau et des protéines dans les urines. Mon travail avait commencé aux alentours de minuit et je me suis rendue à l’hôpital universitaire vers 7h. J’ai immédiatement eu une perfusion avec un médicament pour prévenir que cela s’empire, puis j’ai été transférée en salle d’accouchement avec une dilatation à 4cm. Encore aux urgences on m’a informée que j’allais avoir une épidurale, chose que je souhaitais éviter à tout prix.
J’ai accouché de mon fils à midi exact. Entre 7h et midi, j’ai dû refuser l’épidurale à mainte reprises, le médecine me redemandait à chaque fois qu’il venait me voir (chaque heure au minimum) et répondait à mon « non merci » avec « Ok, on va attendre un peu ». Cela me donnait l’impression qu’on allait m’y obliger tôt ou tard. Chaque fois que l’épidurale m’était proposée, j’ai dû me répéter la raison pourquoi je n’en voulais pas. Une fois entre deux contractions, une feuille d’accord pour l’anesthésiste est apparue devant moi avec la demande de la lire et signer – c’était mon accord pour la péridurale. Je ne comprenais rien, j’avais dit que je n’en voulais pas. J’ai commencé à lire, mais une contraction est arrivée et j’ai oublié la feuille. Après l’accouchement je m’en suis rappelée et mon mari m’a dit qu’il l’a écartée pendant la contraction – après tout pourquoi signer un accord, si je n’en voulais pas.
Je suis restée debout à côté de la perfusion et du monitoring pour ma pression artérielle. Ceci j’ai aussi dû le négocier, car on me disait qu’il fallait être couchée avec tout ses câbles. Évidemment c’était bien possible debout aussi – je ne pouvais juste pas marcher.
Après la rupture des eaux, j’étais à 6-7cm. Tout le monde, moi incluse, pensait que ça allait encore durer longtemps. 20min plus tard j’ai eu envie d’aller aux toilettes… et j’ai commencé à pousser. La précipitation, tout le monde stressé, car rien était prêt. J’ai été obligée à me coucher sur le dos en attendant le médecin et je ne sentais plus l’envie de pousser. Alors j’ai été dirigée pour pousser.
Cet accouchement, à première vue aussi naturelle que possible malgré la pré-éclampsie, m’a laissé un goût amère et j’ai mis des mois pour vraiment faire la paix avec cette expérience. Certaines interventions ou suivis ont sûrement été nécessaires, mais mon impression générale était d’une lutte constante pour me défendre, défendre mon intégrité, et lutter contre les automatismes de l’hôpital.
Deuxième Grossesse
A la découverte de la deuxième grossesse, nous avons parlé avec mon mari d’un accouchement idéal qui se ferait à domicile. D’ailleurs, mon mari m’a surpris sur ce point car il était à 100% à l’aise avec ce projet. Par contre, j’étais convaincue que personne ne voudra me suivre à cause de mon historique. Je suis alors retournée chez le médecin, malgré que je n’étais pas tout à fait contente de sa gestion du premier. Je me disais, qu’au moins je le connais et je peux mieux lui dire ce que je veux, plutôt que d’aller chez quelqu’un que je ne connais pas et qui me surprend à la naissance.
Quelques semaines plus tard, j’ai rencontré lors d’une exposition Nathalie, une sage-femme indépendante qui suit des accouchements à domicile. Elle pensait pouvoir me suivre et que même un accouchement à domicile pourrait être possible – à condition que la grossesse reste sans complications.
J’ai vécu une très belle grossesse, sans complication aucune. Évidemment, j’étais fatiguée, j’ai eu quelques nausées au début, quelques maux vers la fin. Mais pas de rétention d’eau, pas de pression artérielle élevée et alors j’ai eu l’immense chance de pouvoir accoucher à la maison ! J’étais sereine, je faisais confiance en mon corps et ce processus naturel.
Accouchement
Nous sommes un samedi fin octobre, une belle journée d’automne. Nous décidons d’aller sur le Salève pour vivre une petite aventure avec notre fils de 20 mois et l’amie venue du Canada pour s’en occuper lors de l’accouchement. Je me sens en forme, malgré que je sois déjà à 38 semaines. Nathalie, ma sage-femme, est en formation à Paris et la possibilité d’un accouchement me semble bien lointaine. Je compte d’ailleurs l’appeler le lendemain dès son retour pour discuter de possibilités pour lancer un peu les choses – mon amie doit rentrer dans moins d’une semaine et la garde du grand sera alors plus compliquée.
Sur le Salève, nous faisons une « petite » marche pour voir non seulement le bassin lémanique mais aussi le Mont-Blanc. Cette marche s’avère plus longue et ardue que prévu avec un petit garçon fatigué de marcher et une femme enceinte jusqu’aux dents et un chemin en côte – surtout que le garçon souhaite à tout prix être porté par maman ! C’est dur avec ses 14kg en plus des miens, heureusement que Papa prend la relève. Lors de la descente je sens bien la tête au fond du bassin et je m’interroge brièvement sur ce que nous ferions si le travail devait commencer là en pleine balade – heureusement tout reste calme. Nous profitons pleinement du soleil et rentrons fatigués à la maison.
Après un dîner rapide, je couche notre fils et reste au lit avec lui en lisant un peu. Juste quand je me dis que je suis quand même très fatiguée de cette sortie que je sens une sensation bizarre et d’un coup ça coule. Je sors du lit aussi vite que je peux, mais pas sans y laisser une trace et je file aux toilettes. J’ai perdu les eaux, sans aucun doute. Il est 21.15h. L’excitation monte avec la réalisation que le compte à rebours commence et que bientôt nous allons rencontrer notre deuxième ! J’appelle mon mari pour lui annoncer la nouvelle – il est surpris de me voir trembler, mais je le rassure que c’est juste la surprise et l’excitation. Vers 21h30 nous appelons Élisabeth, la sage-femme qui viendra nous assister en l’absence de Nathalie. Elle est calme, posée et nous écoutons brièvement les battements du cœur de bébé grâce à un doppler (et d’autres choses) que les sages-femmes ont entreposé chez nous. Tout va bien. Nous nous mettons d’accord de l’appeler lorsque ça commence pour de vrai.
Mon amie et mon mari bougent la table à manger pour faire de la place pour la piscine d’accouchement. Elle est déjà gonflée dans le salon depuis plusieurs jours – une belle présence qui nous rappelle ce qui va venir, chose qu’on a tendance à oublier un peu avec une vie pleine. J’aurais voulu ranger le salon, mais je décide d’aller me coucher pour me reposer d’abord. La méditation de pleine conscience m’aide à contrôler l’excitation et je m’endors (presque) quand la première contraction arrive. Il est peu après 22h. Je reste au lit et me repose pendant les pauses qui sont encore longues au début (10-15min). A partir de 23.15h c’est toutes les 7minutes, et je comprends que le travail est lancé. Je reste pourtant couchée à côté de mon grand pour éviter qu’il ne se réveille trop tôt.
Peu après minuit, je me lève finalement pour aller ranger le salon. Je pense qu’avec des pauses de 7 minutes je peux rapidement faire un peu d’ordre, allumer des bougies et mettre de la musique (oui oui, c’est ce que je pensais). Arrivée au salon, une vague d’une force inouïe roule sur moi et d’autres suivent immédiatement. Je m’accroche au dos d’une chaise et les sons graves – des AAAA et OOOOO arrivent tout naturellement. J’étais sûre que je ne ferai jamais ce genre de sons, mais me voilà et ils me font beaucoup de bien. Je voudrais avertir mon mari qui dort, mais je n’arrive pas à décrocher de la chaise. C’est seulement environ 20 minutes plus tard que je peux faire les quelques pas pour aller le réveiller. Il s’étire et me dit : j’arrive… j’ai l’impression qu’il va se rendormir et qu’il ne se rend pas compte de l’urgence que je ressens, alors j’insiste qu’il doit venir MAINTENANT.
Arrivé au salon, je lui dis de réveiller l’amie pour s’occuper de notre fils, d’appeler la sage-femme et de remplir la piscine… et je continue avec mes AAA et OOO toutes les 2-3 minutes. Quand j’ouvre mes yeux entre deux contractions, je vois la bouilloire apparaître dans mon champ de vision. Je me demande ce qu’il va en faire, est-ce qu’il va remplir la piscine avec la bouilloire ? Je lui demande et il me répond tout tranquillement qu’il va se faire un café !!! QUOI ? J’insiste à nouveau qu’il doit réveiller l’amie, appeler la sage-femme et remplir la piscine MAINTENANT ! Il commence à comprendre que ce n’est pas aussi tranquille qu’il pensait.
Au téléphone avec Élisabeth, je l’entends dire : ‘Les contractions ont commencé’… et j’ai peur qu’il ne transmette pas que ça avance vite. Heureusement Élisabeth a dû m’entendre et a répondu qu’elle part de suite de la maison – à environ 30min de route.
Entre temps, notre grand se réveille et souhaite téter pour se rendormir. J’essaie tant bien que mal de m’asseoir avec lui, mais les contractions viennent l’une sur l’autre et je n’arrive pas à lui donner le sein assez longtemps pour qu’il puisse se rendormir. Il sera alors réveillé pour l’accouchement. Nous l’avons préparé aussi bien que c’est possible pour un petit garçon de 20 mois. Cela ne m’inquiète pas qu’il soit là, car je sais que mon amie s’en occupe.
L’entrée dans la piscine est un gros soulagement, jusqu’à la contraction suivante qui semble encore plus forte que les autres. Mais entre deux, je peux souffler un peu. Peu de temps après, Élisabeth appelle du parking pour annoncer son arrivée. J’informe en même temps mon mari que la tête commence à descendre et que je vais pousser. Il doit être 01:15.
Élisabeth arrive dans l’appartement et écoute rapidement le cœur du bébé à naître. Je me rends compte que nous n’avons même pas pensé à utiliser le doppler depuis que les contractions ont commencé. J’ai la confiance que tout va bien et que tout se passe exactement comme il se doit. Je sens que mon corps se met en branle charge et qu’il est pressé. Élisabeth ne fait pas d’autre examen.
Je suis à genoux dans la piscine avec mon mari devant moi qui me tient la main et Élisabeth s’assoit à mon dos. Elle me propose un massage du dos. Ses mains fraîches me font beaucoup de bien. Je sens la tête qui avance doucement. Je dis « Non » ! Je trouve que ça va trop vite et j’ai peur d’avoir mal. En même temps, notre grand commence à pleurer très fort, il n’aime pas les bruits que je fais. Entre deux contractions j’arrive plus ou moins à le calmer, mais il panique avec la prochaine. Mon mari et mon amie décident qu’ils vont faire une promenade – à 1.30h du matin. Il n’est pas du tout d’accord et le fait bien savoir en criant très fort. Même si c’est difficile pour moi de devoir le laisser, je comprends que je ne peux rien faire pour l’aider. Je me dis que plus j’accouche vite, plus vite il peut revenir. Alors je me laisse aller et j’accepte que je vais avoir mal quand la tête passe.
Peu de temps après l’arrivée d’Élisabeth, j’ai un moment de doute, je sens avec mes doigts la tête, elle n’est pas loin. Mais d’un coup, mes pensées rationnelles me disent que ce n’est pas possible, je ne peux pas déjà être à dix centimètres, ça ne fait que 1h que j’ai des contractions coup sur coup et je me demande si ce que je sens sur la tête n’est pas un bout du col. Alors Élisabeth m’examine et me rassure que ce sont les cheveux de bébé. Je me sens très bête quand je remets mes doigts, car évidemment ce sont des cheveux, comment aurais-je pu imaginer autre chose…
Le moment juste avant que la tête passe me semble durer une éternité. La tête est juste là mais la contraction s’arrête. J’écoute mon corps et je ne pousse pas, j’attends et je laisse venir, je laisse s’étirer. Et finalement, la tête est née, le soulagement est énorme et juste après tout le corps arrive. Je l’attrape de suite, car j’ai une crainte irrationnelle de perdre le bébé dans l’eau et la pénombre. Je m’assois avec lui et il commence de suite à pleurer et puis il cherche le sein. Il est 1h48.
Quelques minutes plus tard notre amie est déjà de retour avec notre grand qui n’arrêtait pas de hurler jusqu’à ce qu’elle décide de rentrer. Il regarde son petit frère avec un sourire et des sanglots en même temps.
J’accouche encore du placenta dans l’eau quelque temps plus tard et puis je m’assois sur le canapé. J’allaite mes deux enfants pour la première fois. Quelque temps plus tard Élisabeth demande si on coupe le cordon, j’avais complètement oublié le cordon. Mon mari et mon grand fils le coupent ensemble.
Vers 4h nous allons tous nous coucher dans notre grand lit. Le bonheur est complet. Mes enfants, les bruits connus, le lit connu (encore un tout petit peu mouillé sur le coin de la perte des eaux – une petite serviette arrange vite les choses). Le matin je me réveille avec une énorme faim et je prends mon petit déjeuner avec grand plaisir.
Le fait d’être à la maison rajoute une dimension paisible et agréable à cette expérience magique. Tout est connu, il n’y a personne qui dérange, aucune crainte d’une intervention non nécessaire. Juste nous. Juste la naissance et puis le nouveau bébé.
Raphael, venu au monde le 30.10.2016 à 1.48h avec 3560g, 50cm de long et 36cm de tour de tête.
Post-scriptum
Dés le lendemain de l’accouchement, j’étais un peu déçue pour deux raisons. D’un côté parce que c’était déjà terminé, alors que je m’étais réjouie pendant si longtemps. L’accouchement n’a duré que 3h30 et j’ai à peine eu le temps de me rendre compte, que c’était déjà terminé.
Mais la déception plus grande, et une certaine gêne, était par rapport à mon « comportement ». Je m’étais imaginée un accouchement serein, posé, calme… et finalement la force du travail m’a surprise, m’a dépassée, j’ai fait des sons graves à des volumes importants. Je crois avoir crié à un moment, même si mon mari maintient que ce n’est pas vrai. J’ai fait peur à mon aîné.
Je n’arrivais pas à me détendre car les contractions arrivaient les unes sur les autres. Je n’ai pas eu le temps d’entrer en transe comme durant mon premier accouchement. Cela m’a manqué. Cette sensation d’être ailleurs, d’être presque « high », m’avait beaucoup plu lors du premier accouchement et j’avais envie de la retrouver.
J’ai accepté que la force de cet accouchement si rapide ne m’a pas permis de tout faire comme j’aurais voulu. Plusieurs mois plus tard, j’ai vraiment fait la paix en lisant une phrase sur la beauté d’un accouchement primal, bruyant et plein de force. C’est exactement ce que c’était. Un travail puissant et rapide, une expulsion durant laquelle j’étais très consciente de chaque millimètre d’avancée.
Aujourd’hui, je suis aussi extrêmement fière de moi. Malgré cette puissance, j’ai eu confiance en moi, en mon corps et en mon bébé durant tout le travail. J’ai gardé toute ma présence pour attraper de suite mon bébé. Je n’ai quasiment pas eu besoin d’aide. J’aurais presque pu accoucher toute seule. J’étais entourée de personnes qui me soutenaient et étaient témoins de cette force et de l’arrivée de notre deuxième fils sur ce monde. Je n’ai pas dû me défendre, je me sentais en sécurité et acceptée. C’était exactement la naissance qu’il me fallait. Cette fierté d’avoir vécu cette force, de l’avoir produite avec mon corps, me donne confiance en moi et mes pouvoirs.