Maya

Lettre à ma fille

Mon bébé,

Voici déjà plus d’un an qui s’est écoulé depuis le moment de ta naissance, de ta première respiration. Pendant neuf mois tu as grandi en mon sein, dans la douce chaleur de mes entrailles, au plus profond de mon intimité, vivant et ressentant tout de moi. Pendant neuf mois. Neuf longs mois pendant lesquels mon corps s’est gonflé et distendu pour te laisser place, neuf tout petits mois pour se préparer à notre future vie à cinq, neuf longs mois d’attente pour ton frère et ta sœur qui piétinaient d’impatience et posaient des milliards de questions, neuf tout petits mois pour profiter de cette troisième et peut-être dernière fois où je pourrais jouir du bonheur de sentir la vie en moi.

Déjà un an depuis cette nuit du treize au quatorze avril, cette nuit bouleversante pendant laquelle tu as décidé de mettre fin à cette longue attente, presque quatre jours interminables après la date de terme promise par le médecin. Cette dernière semaine a sans doute été la plus longue de toute ma vie de maman. Elle a fait ressurgir en moi des peurs enfouies depuis longtemps. Je pleurais chaque jour de crainte d’une intervention médicale pour te faire naître. Mais c’était sans compter sur notre détermination à toutes les deux : nous n’avions besoin de personne d’autre que de nous deux, ton papa et la sage-femme pour cette naissance.

Le jeudi une consultation chez E. notre bienveillante ange-gardien me fera prendre conscience de tout ça. Le vendredi j’arrive à décrocher un rendez-vous chez un acupuncteur le soir-même, afin de stimuler les points réflexes de l’utérus. Quelques heures plus tard, au terme d’une soirée en famille avec Papi, Mamie, tonton D. et Tata V., la naissance s’annonçait enfin.

Vers une heure trente le samedi 14 avril 2012 les premières contractions me réveillèrent. J’ai aussitôt sorti ton papa de ses brumes nocturnes. C’est qu’il ne fallait pas traîner : nous nous attendions à une naissance rapide. Ton papa avait même sans arrêt pensé au fait que la sage-femme pouvait ne pas arriver à temps…
Direction le rez-de-chaussée de la maison, qui dispose d’une chambre et d’une salle-de-bain avec WC, que nous avions préparés pour l’occasion. Le moment était venu pour moi de me détendre, d’accueillir les vagues de contractions avec patience et sérénité. Assise sur le gros ballon, je traçais des infinis avec le bassin. Ce mouvement a été pour moi très salvateur en pareilles circonstances. Il m’a beaucoup aidé dans mon travail de détente. Les paroles d’E. raisonnaient dans ma tête : « ton travail, c’est de t’ouvrir, ton corps et ta fille feront le reste ». Je me suis donc appliquée à rester la plus calme possible pour favoriser cette ouverture et de faciliter ton passage.
Pendant ce temps ton papa se chargeait de vérifier que tout était bien prêt, et de prévenir E. de l’avancée du travail. Musique douce, lumière tamisée aux bougies et à la lampe de sel, bain relaxant… il a été un assistant hors pair !
Le bain : moment magique pour une femme accouchante, qui peut ainsi laisser aller son corps à flotter et à se détendre. Tous les muscles se relâchent et l’ouverture se fait plus généreuse encore. Quelques contractions encore, qui s’intensifient… Je ne peux plus parler…Se détendre… S’ouvrir… C’est mon « job » !
J’extériorise cette douce douleur par des râles libérateurs. J’ai le sentiment ainsi d’accompagner les contractions. Elles sont maintenant tellement fortes que la position allongée (toujours dans la baignoire) devient insupportable. Avec l’aide de ton papa, je parviens péniblement à me redresser, et à passer à genoux, entre deux contractions qui sont maintenant très rapprochées. L’envie de pousser se fait déjà sentir. Le dénouement est proche… et la sage-femme, elle, n’est toujours pas là…
A genoux dans la baignoire glissante, je sens ta tête sur mon périnée. Je me rends compte à ce moment-là de mon extrême lucidité, malgré la douleur qui me foudroie. Une contraction : je caresse tes cheveux. Une autre : la tête est là toute entière. Je m’accroche au rebord de la baignoire pour ne pas chavirer sous les coups fulgurants des contractions.
Ton papa me dit : « Elle est coincée !! ». Je peux sentir l’angoisse serrer sa voix. Alors je donne le maximum de mes forces dans ma bataille, le tout pour le tout, pour te pousser hors de moi, en maîtrisant l’intensité de la poussée pour épargner mon périnée.
Ton papa te cueille délicatement, et te soulève doucement hors de l’eau. Il semble que tu ais bu un peu la tasse… Un petit peu de gymnastique me permet de prendre une position plus confortable, dans cette baignoire finalement assez étroite ! Je te prends enfin dans mes bras, tout contre moi. Tu ne respires pas encore mais je n’oublierai jamais ton regard à travers tes petites paupières qui essayaient avec prudence de s’ouvrir vers ces lumières extérieures. Nous nous découvrons enfin, les yeux dans les yeux. Tu prends délicatement une première respiration pendant que nous te frictionnons doucement le dos pour stimuler ton système sanguin et te donner des couleurs. Le temps est en arrêt, nous dégustons ces premières secondes qui durent toute une éternité. Tous les trois dans notre jolie salle de bain, nous sommes là tout étonnés de ce petit miracle pourtant si simple : la vie !
Quelques petits coups frappés à la porte d’entrée nous interrompent dans notre béatitude : nous avions oublié qu’E. devait être là ! La naissance avait été si rapide et si facile qu’elle était arrivée après coup. Pour nous, parfait « timing » puisque cela nous a permis de connaître cette expérience exceptionnelle : faire naître son enfant chez soi, et soi-même.
E. et ton papa nous ont aidées à sortir de la baignoire et à nous coucher confortablement. Un peu de repos bien mérité ! Nous avons toutes deux bénéficié des soins d’E. et de N., la deuxième sage-femme prévue pour cette naissance, elle aussi arrivée en retard. Nous avons profité de ce petit temps pour prévenir par message nocturne nos familles de ce petit bonheur tout frais.

Puis le calme est revenu dans la maison, les lumières se sont de nouveau éteintes. Tout le monde dormait… ou presque… Ton papa et moi nous sommes relayés cette première nuit, te prenant chacun notre tour contre notre peau pendant que l’autre dormait un peu. Le relai a duré bien d’autres nuits encore après celle-là !
Quelques heures plus tard Papi, Mamie, D. et V. nous faisaient une petite livraison spéciale de croissants chauds. Nous étions si fiers de te présenter à eux !
Puis T. et Y. se sont réveillés. Ton papa est allé les chercher. Ils n’ont même pas remarqué qu’E. dormait sur le canapé. Ils étaient tout étonnés d’être conduits dans la chambre d’en bas, et encore plus de me voir dans le lit. Mais pourquoi donc Maman a-t-elle dormi en bas ??? Surprise !!!! Votre petite sœur est née, M. est là les enfants !!!! Quel bonheur de voir le sourire rayonnant sur leurs petites frimousses encore endormies !!! Ils t’ont couverte de baisers et de caresses…

C’était le début de notre vie à cinq, une vie de famille désormais nombreuse. Nous prendrons soin de toi chaque jour de ta jolie vie. Je formule juste un souhait : qu’entre mille autres bonheurs tu connaisses un jour celui immense et intense de donner la vie dans des conditions aussi sereines.
Belle vie à toi ma poupée !