
Afin de traiter de la problématique du risque autour de l’accouchement à domicile, sous un angle de vue plus holistique, subtil et individualisé que le serait une revue scientifique de la littérature, j’ai choisi de traduire cet excellent article d’Alison Barrett (juin 2014), gynécologue obstétricienne qui a travaillé au Canada et en Nouvelle Zélande (Cheffe d’un département de gynécologie et d’obstétrique en Ontario, Professeure assistante à l’école de médecine d’Ontario du Nord, puis obstétricienne consultante à Hamilton):
« Climbing Trees »
Auteure: Alison Barrett
Traduction: Nathalie Donnez
J’étais de ces enfants qui adoraient grimper aux arbres. J’ai grandi dans l’Otario, au Canada, où grandissent les arbres les plus adaptés pour cette activité. La courte saison de culture et les hivers rudes créent les conditions idéales pour que prospèrent les feuillus à croissance lente. Ce dont je ne me doutais pas, c’était l’impact qu’allait avoir cette activité dans ma vie.
Quand mes parents m’emmenaient avec eux chez leurs amis, où ils avaient des conversations ennuyeuses d’adultes, je regardais dans leurs jardins pour trouver des arbres propices à la grimpe. Cette recherche commençait même depuis la voiture en arrivant chez eux. Il n’y avait rien de nouveau; j’observais chaque arbre que je croisais avec le seul objectif d’évaluer ses qualités pour la grimpe. Comme j’étais une enfant calme, on mettait en général du temps à remarquer mon absence. Finalement, les amis de mes parents, en regardant par la fenêtre et en me voyant dans les airs, disaient: « Est-ce qu’elle a le droit de faire ça? », « Vous n’avez pas peur? », « Et si elle tombait? ». Ils faisaient des estimations dans leur tête: la hauteur pour une fracture de la jambe, la heuteur pour une blessure neurologique, la hauteur pour une mort éventuelle. Ma mère se tordait le cou pour voir et disait « Ça ira ».
Soyons clairs: en grimpant aux arbres il ne s’agissait pas, selon moi, de prendre des risques. Dans le fait de grimper aux arbres je ne me sentais pas en danger, au contraire, je me sentais en sécurité d’être bercée au creu de la voûte d’un arbre. En plus de me sentir en sécurité, je ressentais d’autres choses encore. Les branches solides sous mes mains et mes pieds, réchauffés par le soleil. L’écorce: douceur interrompue par les formes scarifiées des blessures de feuilles, de terriers d’insectes, les trous des pics-verts. Je n’ai jamais vu d’oeuvre artistique qui pouvait égaler la beauté des feuilles qui virevoltaient et bruissaient dans le vent alors que les rayons de soleil les caressaient. Dans la voûte d’un arbre je pouvais être mieux à l’écoute de mes pensées. Dans les airs, je me sentais stable et rattachée à la terre et à la nature.
Que cela apporte un sentiment de sécurité est une chose. Que cela soit réellement sécuritaire, vous me direz probablement, c’en est une autre.
Certaines personnes pensent que les enfants ne devraient pas grimper aux arbres. Cela a été interdit dans les cours d’école. Aujourd’hui certains diraient que mes parents étaient irresponsables. Peut-être auraient-ils dénoncé mes parents auprès des services sociaux. On m’aurait peut-être fourni des substituts pour grimper: des équipements prévus pour les enfants, avec des filets de sécurité et une supervision. Des harnais auraient été fournies, un casque pour protéger ma tête.
Il y a des gens qui croient qu’aucun risque ne devrait être non plus autorisé moment de la naissance. Comme cela concerne un enfant in utero qui est incapable d’exprimer son consentement, les parents devraient faire ce qui est juste. Comme beaucoup le pensent légitimement, un enfant innocent devrait être protégé des éventuelles mauvaises décisions de ses parents. Après tout, il y a des lois sur le port de la ceinture de sécurité ou du casque à vélo, des lois anti-tabac, et autres lois mises en oeuvre pour protéger le bien public des mauvaises décisions prises par les individus. Dans même esprit, certains pensent que l’accouchement à domicile devrait être illégal en raison du risque.

Mais si on applique le paradigme du risque à l’accouchement à domicile, on doit aussi l’appliquer à l’accouchement à l’hôpital. Il existe un terme qui désigne les dommages causés par les médecins: c’est la iatrogénécité. La iatrogénécité prend plusieurs formes: les effets indésirables de médicaments prescrits, les complications des opérations chirurgicales, ou les maladies nosocomiales – infections dues aux germes de l’hôpital. La iatrogénécité dans le domaine de l’accouchement est particulièrement importante. Cela provient du fait que des interventions sont faites sur des personnes qui n’en ont pas besoin, au nom de la réduction des risques. Nous ne sommes pas assez bons dans la prédiction des complications pour nous assurer que seuls ceux qui nécessitent les interventions les reçoivent.
Il y a des risques liés à l’accouchement à l’hôpital que le modèle de la iatrogénécité ne prend pas en compte. Cela peut être de petits risques, mais si on les recensait tous ils pourraient atteindre un niveau significatif. Est-ce que le risque de l’accouchement à l’hôpital inclut le risque lié au trajet en voiture jusqu’à l’hôpital? Et le risque lié au voyage du retour?
Si on pousse le raisonnement à l’extrême, on peut facilement tomber dans l’absurdité d’un modèle de risque. La vie engendre des risques, si nous voulons les éviter complètement, nous devrions rester au lit (et encore, nous risquerions alors de développer une thrombose des membres inférieurs par manque de mobilité). Si nous parvenions à répertorier tous les risques dans une équation géante et devions donner une réponse claire sur le risque associé au lieu de naissance, nous ne serions pas plus avancés pour prédire un risque pour nous-mêmes. Il est dangereux d’appliquer les risques établis pour la population à un individu en particulier. Si le risque d’une complication pour un individu de la population est de 1 sur 100, ce n’est pas la même chose que de dire que votre risque est de 1 sur 100. Votre risque dépend d’un ensemble de paramètres, cet ensemble étant unique et propre à vous, et certaines de ces paramètres sont des éléments personnels que seul vous-même connaissez.
Et ce qui est sans doute plus important, ce sont justement les valeurs qui ne figurent pas dans ce bilan des risques. Ces valeurs sont les bénéfices, souvent non mesurables, que nous obtenons à travers nos expériences de vie. Qu’est-ce que cela vaut pour vous, d’être glissé dans votre propre lit avec votre bébé à vos côtés, né il y a juste quelques minutes? Quel est le prix que vous mettriez à cette sensation que certains d’entre nous connaissent secrètement? Le sentiment, blottie entre des draps frais et une couette bien douillette, votre bébé contre vous, où vous savez avec certitude que le monde devient deux.
En pensant à mon passé, je suis certaine que grimper aux arbres m’a apporté des cadeaux inestimables. Le premier est la confiance dans mon propre corps. Je ne suis pas un athlète; je ne me considère pas particulièrement forte, courageuse, ou trop sûre de moi. Cette croyance dans mon propre corps m’a servi bien plus tard durant la naissance des mes enfants, et en accompagnant l’accouchement d’autres femmes. Des années après, je me souviens du sentiment que l’on a depuis l’angle de vue d’un corbeau perché à la cîme d’un des plus hauts arbres de l’ancienne forêt de Caroline. C’est le sentiment que le monde entier vous appartient. Grimper aux arbres m’a apporté l’expérience de faire confiance à mon propre corps et à mes propres décisions, et de ressentir une joie infinie et secrète dans une activité que d’autres s’interdiraient à cause du risque.