
Pourquoi tant de sages-femmes ont peur de l’accouchement à domicile?
C’est surtout lors des périodes de formation pratique que beaucoup de peurs infondées sont inculquées aux étudiantes sages-femmes. La partie théorique des études apportent des connaissances plus objectives qu’à l’hôpital et une certaine réflexivité puisque les cours se basent majoritairement sur l’evidence-based medecine, du moins en Suisse.
Le grand problème de l’obstétrique, c’est la iatrogénécité. Des interventions – non nécessaires – sont réalisées en systématique, ce qui peut nous porter à croire que sans elles un accouchement ne peut se dérouler sans danger. On assiste à tellement de pathologie liée à la médicalisation, que l’on se dit à juste titre que ce serait inimaginable de gérer cela à domicile… En transposant les réalités de l’hôpital au domicile, bien sûr, l’accouchement semble à très haut risque.
Il faudrait donc tout d’abord différencier un accouchement perturbé par des interventions, d’un accouchement naturel qui n’en subit pas (respect des besoins d’intimité, d’obscurité, pas de changement de lieu et d’ambiance en plein milieu du travail, pas d’intervention). Les accouchements perturbés, on les connaît très bien. En effet, grande partie de notre apprentissage consiste à chronométrer, diriger, surveiller par des actes intrusifs, – les accouchements à priori physiologiques. Par contre, nous avons pratiquement jamais l’occasion dans nos études d’assister à des naissances non perturbées où la physiologie est réellement respectée, et où les besoins de la femme en travail priment sur les besoins de la structure et du personnel.
Décalage entre l’école et le terrain
J’ai eu la chance d’étudier dans une école où la réflexivité, la remise en question, étaient continuelles au sein de l’équipe enseignante. Certains professeurs avaient une activité en recherche sage-femme, et l’Evidence-based medecine était au cœur de l’enseignement. Nous avons appris à faire des analyses critiques de la littérature scientifique, et notre mémoire de fin d’études consistaient à rédiger une revue de littérature, en portant un œil critique sur les études existantes.
Par contre, dès que nous arrivions à l’hôpital, nous ressentions tout de suite un décalage énorme avec l’école. Il fallait mettre notre esprit critique de côté pour juste appliquer les protocoles afin de réussir notre stage. Et cela je l’ai ressenti particulièrement lors de mes stages en France, où il était difficile d’échanger sur les pratiques, même (et surtout !) avec les sages-femmes. Elles étaient convaincues que leur manière de faire étaient la meilleure. Quand j’expliquais qu’à Genève on ne tord pas la tête des bébés pour la restitution, qu’on fait des touchers vaginaux (TV) toutes les 2 heures et non toutes les heures, et qu’on peut laisser la femme pousser pendant 1 heure et non une demi-heure, pour ne citer que quelques exemples, on me répliquait que c’était n’importe quoi, et que je ne savais pas « faire les accouchements ». Alors j’ai appris à tordre la tête des bébés, à faire pousser les femmes comme des folles, au prix de déchirer leur périnée, pour échapper à la ventouse ou autres engins médicaux si on dépassait les 30 minutes fatidiques… Heureusement j’ai vite désappris par la suite !
Je frôlais toujours la tendinite au pouce lors de mes stages en France. Dès qu’une femme enceinte passait les murs de la maternité, pour quelque raison que ce soit – peu importe le stade de la grossesse, peu importe si la poche des eaux était rompue – on devait mettre ses doigts dans son vagin avec comme objectif absolu d’atteindre le col (même celui très postérieure long fermé d’une primi). Je n’ai jamais autant fait de touchers vaginaux, puisqu’en Suisse on examine jamais une femme avant 36-37 semaines si la grossesse se passe bien.
Alors je me suis intéressée à la formation des sages-femmes en France, pour comprendre pourquoi les sages-femmes ont si peu de recul et d’esprit critique en France, pourquoi ce retard ? Alors, en investiguant sur la formation française, j’ai compris l’étendue du problème: écoles souvent dirigées par des gynécologues, cours dispensés surtout par des gynécologues et basés sur les protocoles de leur propre CHU, peu d’EBM internationale, peu de matières holistiques, stages dans d’autres régions ou à l’étranger sont des exceptions, pas de possibilité d’assister à des accouchements extra-hospitaliers, et tabou autour de celui-ci. L’article de Sidonie Le Poul-Petit fait aussi le constat que l’enseignement initial est pauvre dans le domaine de la physiologie. Le retard pris par la France est réel.
Sans parler des conditions d’études très difficiles: méthodes d’apprentissage à l’ancienne, étudiantes dévalorisées, bizutées sur leur lieux de stage. Les cas de harcèlement moral, de violence verbale, de maltraitance sont légion… Rappelons le suicide d’une étudiante à Besançon en 2010. En formant les étudiantes « à la dure », pas étonnant ensuite que ces sages-femmes reproduisent ce qu’elles ont vécu sur les patientes.
Et si les sages-femmes reprenaient enfin leur autonomie en France ?
On compare souvent la France aux Etats-Unis en terme d’hypermédicalisation de la naissance. Or c’est justement aux Etats-Unis que – suite au mouvement d’autonomie des sages-femmes – a été créée la formation diplômante reconnue « Certified Professional Midwives (CPMs) » qui prépare au métier de sage-femme extra-hospitalière. C’est une filière de formation bien distincte de celle de Certified Nurse-Midwives (CNMs) qui prépare au métier de sage-femme hospitalière. Ainsi, l’on reconnaît là-bas que sage-femme hospitalière et sage-femme à domicile sont deux métiers différents, et cela implique donc 2 filières d’études différentes.
Alors osons rêver… Pourquoi ne pas créer, comme aux Etats-Unis, une filière de formation spécifique « sage-femme extra-hospitalière », qui remettrait la physiologie, la spécificité du métier de sage-femme, au cœur de l’enseignement ? Cela a été possible aux Etats-Unis, dans un contexte encore plus défavorable à l’accouchement à domicile que le nôtre… Cela ne tient qu’aux sages-femmes de s’organiser, et de demander par la suite une reconnaissance étatique, comme cela a été fait là-bas.
Je vais décrire maintenant un exemple de formation qui prépare mieux à la physiologie et à la pratique extra-hospitalière que la filière française: les études en Suisse.
Les études de sage-femme à Genève
En Suisse, les étudiantes sont amenées à faire des stages dans les différents cantons. En Suisse chaque hôpital est assez libre dans la rédaction des protocoles, contrairement à la France où les directives nationales ont plus de poids. On s’aperçoit donc très vite qu’il n’y a pas qu’« une vérité », mais beaucoup de manières de faire.
On a aussi la possibilité de faire des stages en maisons de naissance, où on peut découvrir à quoi ressemble l’accouchement hors de l’hôpital. J’ai pu aller dans les deux maisons de naissance genevoises, où j’ai assisté à une dizaine d’accouchements (donc non médicalisés).
De plus, nous sommes encouragées à effectuer un stage à l’étranger (en plus de la France). Ainsi des étudiantes sont parties en Angleterre, Ecosse, Espagne, Népal, Maroc, Madagascar, Bénin, Cameroun… Ces expériences enrichissaient tout le groupe, puisque nous échangions sur les différences existant autour de la naissance entre ces cultures.
Les contenus de cours à Genève sont très variés. En-dehors des cours purement médicaux, nous avons reçu des outils très utiles dans notre métier de sage-femme: relation d’aide selon l’approche humaniste, communication non violente, entretien motivationnel. Nous participons régulièrement à des ateliers de simulation avec des actrices jouant le rôle des patientes, où sont évalués autant notre prise en charge médicale qu’humaine.
Nous recevons aussi une initiation aux médecines douces (homéopathie, médecine chinoise, cours de yoga), des cours de massage de la femme et massage bébé (avec pratique de massage évaluée sur nos lieux de stage en post-partum), une approche corporelle inspirée de la méthode de Gasquet (postures pendant l’accouchement et exercices pendant la grossesse et le post-partum).
En dernière année, nous préparons et dispensons nous-mêmes un cours de préparation à la naissance en situation réelle, soit à un couple individuel, soit à un groupe de parents.
Les sujets de mémoire sont choisis librement par les étudiantes, puis validés par des professeures sages-femmes (et non par des gynécologues!), en s’assurant qu’il existe suffisamment de littérature scientifique sur le sujet.