Contexte socio-politique

“La naissance est une étape majeure de la vie.
C’est – et cela doit être – aussi une problématique politique, en terme de pouvoir du système médical, comment il exerce le contrôle sur les femmes et s’il leur permettent de prendre des décisions sur leur propre corps et leurs bébés.”

Sheila Kitzinger, A Passion for Birth: My Life: Anthropology, Family and Feminism.

En Suisse

La Fédération suisse des sages-femmes soutient officiellement l’accouchement à domicile depuis 1999. En 2014 elle réitère son positionnement en approuvant les directives sur l’accouchement émises par l’Institut anglais NICE (National Institute for Health and Care Excellence). Recommandations de la Fédération Suisse des Sages-Femmes (décembre 2014):

Les accouchements conduits par des sages-femmes à domicile, en maison de naissance ou dans des maternités d’hôpitaux dirigées par des sages-femmes sont plus sûrs que ceux en hôpital pour les femmes en bonne santé.

Rappelons que le NICE est une organisation anglaise indépendante qui émet des recommandations en matière de santé publique basées sur la littérature scientifique qui répond à des critères précis en terme de qualité. Ces recommandations sont destinées principalement au système de santé britannique NHS (National Health Service), mais elles ont également un retentissement international. Recommandations du NICE (en anglais)

En Suisse, l’accouchement à domicile avec une sage-femme fait partie des options proposées pour l’accouchement, au même titre que l’hôpital et la maison de naissance.

La Fédération suisse des sages-femmes (FSSF) fournit aux parents des informations précises sur l’autonomie des sages-femmes et sur les différentes possibilités de lieux de naissance: « La sage-femme conduit tout l’accouchement, de façon autonome, que ce soit à l’hôpital, en maison de naissance ou à domicile. » L’assurance de base couvre les frais d’accouchement quelque soit le lieu. En extra-hospitalier, la sage-femme est couverte par une assurance responsabilité civile pour tous ses actes (pour environ 400 euros par an). Elle est rémunérée à l’heure et touche des frais de matériel. La deuxième sage-femme présente à l’accouchement est également rémunérée.

En France

Je recommande vivement la lecture de ce dossier très complet et qui aborde le sujet dans la globalité:  » L’accouchement à domicile est-il condamné? « (paru dans la revue Nexus en septembre-octobre 2016).

La France est un des rares pays occidentaux où l’accouchement à domicile n’est mentionné par aucune instance de santé officielle. Le sujet reste tabou même à l’Ordre des sages-femmes qui ne se positionne pas.
Il arrive cependant que des conseils de l’ordre départementaux s’expriment sur le sujet. En mai 2016 la présidente de l’ordre des sages-femmes d’Indre-et-Loire déclare dans la presse que l’Ordre des sages-femmes ne cautionne pas la pratique de l’accouchement à domicile. Or, les arguments avancés pour justifier cette position se base sur de fausses allégations, comme le montre Marie-Hélène Lahaye, juriste, dans son article « Ordre des sages-femmes, le règle du catastrophisme, de l’ignorance et du sexisme« .

Durant les 4 années d’études de sage-femme les étudiantes n’entendent presque jamais parler d’accouchement à domicile. Il semble qu’en France on a préféré miser dans l’élargissement des compétences de la sage-femme à des sphères plus médicales, rapprochant la sage-femme des médecins  – gynécologie, contraception, IVG médicamenteuse-, plutôt que de récupérer le cœur du métier de sage-femme, l’accouchement physiologique.

Les conditions d’exercice du métier sont difficiles pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les sages-femmes ne sont couvertes par aucune assurance responsabilité civile professionnelle pour les accouchements à domicile, car le tarif d’assurance équivaut à leur salaire annuel (22000 euros). Outre le risque personnel encouru en exerçant sans assurance, cela les met dans une position très inconfortable car souscrire à une assurance professionnelle est une obligation légale. Le CIANE (Collectif Interassociatif Autour de la Naissance) expose clairement le problème dans un communiqué de presse de 2013: Accouchement à domicile et assurance: L’ État doit agir au plus vite pour rendre la loi applicable
D’autre part, la Sécurité Sociale couvre très mal l’accouchement à domicile. Elle le côte à 350 euros, une somme ridicule par rapport à la responsabilité que cela comporte, mais aussi la durée de l’accouchement et du post-partum immédiat (plus de 12 heures parfois), le matériel dépensé, et l’astreinte 24 heures sur 24 qui peut durer jusqu’à 5 semaines. Les sages-femmes demandent donc un dépassement d’honoraire, aux frais des couples.

Régulièrement, des sages-femmes accompagnant des naissances à domicile sont menacées ou sanctionnées par le Conseil de l’Ordre des sages-femmes (départemental ou national), même en l’absence de plaintes de parents. L’Ordre des sages-femmes dispose d’un pouvoir judiciaire pour juger ses paires, en sanctionnant d’une suspension temporaire, totale, ou partielle du droit d’exercer, mais il est certain qu’il n’a pas les rigueurs de la justice. Il arrive même que l’Ordre se retrouve à la fois juge et partie, ce qui va à l’encontre de la déontologie judiciaire. De plus, les sages-femmes siégeant dans les chambres disciplinaires ne sont pas des professionnels du droit, ne suivent pas de formation en droit, alors que ce sont elles qui instruisent les dossiers et se joignent aux plaintes. Il a été relevé des fautes dans l’instruction des dossiers, comme le non respect des droits de la défense, de la partialité, la disparition des preuves, l’obstacle à l’accès des pièces des dossiers. Voici un document édifiant, décrivant en détail ces anomalies et remettant en question les chambres disciplinaires: Persécution des sages-femmes aad.

Une de ces situations à été dénoncée par l’Association Nationale des Sages-femmes Libérale dans un communiqué de février 2015: « Cette erreur associée à d’autres approximations dans la présentation des dossiers faite dans le mémoire d’accusation conduisent l’ANSFL à s’interroger sur l’objectivité du déroulé des débats. Rappelons qu’aucune plainte n’a été déposée par des parents. La sanction, radiation définitive soit l’interdiction d’exercer son métier, apparaît particulièrement lourde. » En 1998, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a dénoncé le système « quelque peu archaïque » constitué par la double qualité de juge et partie d’un ordre professionnel en matière disciplinaire, en s’intéressant au fonctionnement de l’Ordre des Médecins.

Ces dernières années, malgré l’absence de faute médicale, et tout le soutien organisé des parents, six sages-femmes ont été injustement radiées, ce qui représenterait 10% des sages-femmes accompagnant des naissances à domicile (cette proportion est approximative car ces sages-femmes ne sont pas recensées et certaines exercent dans la clandestinité). C’est pourquoi on parle de « chasse aux sorcières » en France. Ainsi, des sages-femmes se voient contraintes à interrompre leur activité, et d’autres s’exilent dans les pays limitrophes (Suisse, Belgique). Ici un article de Grandir Autrement (n° 36 sept-oct 2012), exposant le cas d’un procès de sage-femme :

Cela fait plusieurs années que les parents s’organisent et militent pour soutenir l’accouchement à domicile (création du Collectif de Défense de l’Accouchement à Domicile), et malgré toutes ces initiatives, la situation ne cesse de se dégrader. Voici un article de Grandir Autrement (n°48, sept-oct 2014):

Ainsi, le déficit de sages-femmes accompagnant les naissances à domicile est flagrant en France. Dans certaines régions il n’y en a aucune. Nous observons un nombre croissant de couples qui font le choix d’accoucher seuls, faute de trouver une sage-femme pour les accompagner. En effet, l’accouchement à domicile est de plus en plus souhaité par les parents, comme dans tous les autres pays occidentaux. Les média et associations alertent sur le phénomène des ANA (Accouchements Non Assistés), comme dans cet article concernant la situation dans le Finistère. Voici un autre article sur un ANA en Saone-et-Loire. Malheureusement aucun chiffre officiel n’existe sur les accouchements non assistés (ANA) pour observer objectivement cette évolution. Quoi qu’il en soit, on l’observe sur internet, la visibilité de ce phénomène augmente: de plus en plus de vidéos d’ANA, sites internet dédiés, les projets d’ANA sont annoncés sans tabou par les couples sur les réseaux sociaux et forums, où des conseils sont échangés entre parents, ou encore des cours en ligne pour préparer un ANA…

Cependant, depuis 2019 on note des évolutions. Les sages-femmes sont sorties de l’ombre en créant l’Association Professionnelle de l’Accouchement Accompagné à Domicile (APAAD). Cette association a publié en septembre 2019 les premières statistiques de l’AAD en France en analysant les données de plus de 1000 naissances à domicile sur l’année 2018. Les résultats sont excellents et comparables aux autres pays occidentaux. L’APAAD a commencé à rencontrer les différents partenaires suite à cette publication, dans l’objectif de trouver une solution pour l’assurance RCP et intégrer à terme l’AAD à l’offre de soins française.

Et ailleurs?

En Suisse, comme expliqué plus haut, la Fédération Suisse des Sages-femmes (FSSF) soutient l’accouchement à domicile en s’appuyant sur la littérature scientifique internationale. La FSSF a pour objectif d’assurer la qualité du travail des sages-femmes, d’améliorer économiquement et socialement la profession et de défendre les intérêts des sages-femmes. Il n’existe pas de syndicat de sages-femmes en Suisse, puisque la FSSF remplit son rôle de défendre ses membres. Elle n’a aucune mission de sanction ou de pouvoir judiciaire. Si une plainte est déposée, les sages-femmes sont jugées par une justice de droit commun, impartiale. Rappelons que les cas de plaintes sont très rares en extra-hospitalier. Les assureurs observent beaucoup plus de plaintes en milieu hospitalier. Les études montrent en effet chez les parents un niveau de satisfaction du suivi de l’accouchement nettement supérieur avec une sage-femme à domicile ou en maison de naissance.

En Suisse, selon le recensement des activités des sages-femmes indépendantes de Suisse de 2014, le nombre d’accouchements à domicile est en augmentation. Il y a eu 877 cas en 2014, le chiffre le plus élevé enregistré depuis le début du recensement des lieux d’accouchements en 2006, avec 38% d’augmentation en 8 ans.

En Belgique, L’Union Professionnelle des Sages-Femmes Belges (upsfb) met à disposition sur son site des informations aux parents, aux sages-femmes et aux étudiantes. Elle développe en détail des informations les 3 possibilités de lieux de naissance: http://www.sage-femme.be/parents/lieux-de-naissance/

Au Québec, l’Ordre des sages-femmes du Québec fournit sur son site internet des informations détaillées sur l’accouchement à domicile (mai 2005):

Accoucher à la maison : un choix sécuritaire, très apprécié, et réaliste.
Les diverses recherches comparant la sécurité de l’accouchement à domicile à celle de l’accouchement en centre hospitalier arrivent à des conclusions semblables : pour des accouchements dont les conditions sont comparables et pour une clientèle sélectionnée présentant des bas risques de complications, les taux de mortalité et de morbidité périnatales sont égaux ou légèrement inférieurs à domicile (Peat, Marwick, Stevenson & Kellog, 1991 ; Janssen, Holt, Myers, 1994 ; Olsen, 1997 ; B.C. Home Birth Demonstration Project, 2000).

Au Royaume-Uni, le Collège Royal des Sages Femmes (RCM) et le Collège Royal des Obstétriciens et des Gynécologues (RCOG) ont émis une déclaration conjointe sur la naissance à domicile. Selon cette déclaration: « le Collège Royal des Sages Femmes (RCM) et le Collège Royal des Obstétriciens et des Gynécologues (RCOG) soutiennent la naissance à domicile pour les femmes ayant des grossesses sans complications. »

Aux Etats-Unis sont publiés des statistiques détaillées sur les accouchements à domicile. On observe sur ce graphique l’augmentation rapide des accouchements à domicile: 30% en 5 ans.

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Source: http://www.nursingschoolhub.com/home-birth

Aux Pays-Bas, l’accouchement extra-hospitalier a toujours été majoritaire. Alors que la plupart des pays occidentaux ont encouragé l’accouchement à l’hôpital dans les années 40-45-60, les Pays-Bas, eux, ont calculé qu’ils n’avaient rien à gagner à suivre cette tendance à la fois sur le plan de la santé materno-infantile, mais aussi sur le plan économique. Ainsi, l’accouchement à domicile a longtemps été majoritaire, et l’hôpital était réservé pour les pathologies. Il y a 10 ans encore un tiers des femmes environ accouchaient à domicile, un tiers en maison de naissance avec des sages-femmes, un autre tiers à l’hôpital. Aujourd’hui la part d’accouchements à domicile à chuté à 16 %, comme expliqué dans cet article: Aux Pays-Bas accoucher à domicile n’est pas un projet alternatif, c’est juste normal. L’article écrit par une sociologue « Accoucher à domicile ? Comparaison France/Pays-Bas » explique le modèle néerlandais et invite la France à s’en inspirer.

Positionnements officiels AAD pays occidentaux