Suturer ou ne pas suturer les déchirures de degré I et II ?

Les déchirures à l’accouchement

Selon l’Office Fédéral de la Statistique, en 2004 en Suisse, 41 % des femmes qui ont accouché ont eu une déchirure périnéale ou une épisiotomie. Il existe une forte disparité de ces chiffres en fonction des établissements et des praticiens. Il y a par exemple un taux plus élevé d’épisiotomies dans les cliniques privées que dans les hôpitaux publics. Et l’accouchement extra-hospitalier a de meilleurs résultats qu’à l’hôpital. Parmi les accouchements extra-hospitaliers c’est le domicile qui présente les taux les plus bas.  Selon les statistiques de la Fédération Suisse des Sages-Femmes, sur les 564 accouchements prévus à domicile en 2015, il y a eu 30 % de déchirures périnéales (degré I et II), aucune épisiotomie, et aucune déchirure de degré III ou IV.

A l’hôpital, non seulement les taux de déchirures sont plus élevés, mais leur gravité est plus importante. Selon les Hôpitaux Universitaires de Genève, les déchirures de degré 3 et 4 représentent 2 à 5% des accouchements par voie basse. Les raisons de ces taux élevés sont multiples : péridurale et déclenchement de l’accouchement, position gynécologique, poussées dirigées, protocoles stricts sur les temps d’expulsion, instrumentation (forceps, ventouse), et recours à l’épisiotomie.

Un article de Rachel Reed fournit des informations précieuses sur la prévention des déchirures: Perineal protectors ?

Quelles recommandations ?

Il existe un nombre suffisant d’études qui comparent les différentes techniques de suture, mais il en existe peu qui tentent de répondre aux questions: la suture est-elle vraiment nécessaire ? Les bénéfices dépassent-ils les risques? Toutefois, la Cochrane a édité une revue sur le sujet en 2011, concernant les déchirures de degré I et II : Elharmeel, S., Chaudhary, Y., Tan, S., Scheermeyer, E., Hanafy, A., & van Driel, M. L. (2011). Surgical repair of spontaneous perineal tears that occur during childbirth versus no intervention. The Cochrane Library.

Voici la conclusion de cette revue (traduction de l’anglais) :

Il existe peu d’essais contrôlés randomisés pour permettre de guider dans le choix de la réparation chirurgicale ou non chirurgicale des déchirures de premier ou second degré qui se produisent à l’accouchement. Deux études concluent qu’il n’y a pas de différence entre les deux options quant aux résultats cliniques jusqu’à 8 semaines post-partum. Donc actuellement il n’y a pas de preuve scientifique suffisante pour suggérer qu’une méthode est meilleure que l’autre, en ce qui concerne la cicatrisation et la récupération dans le post-partum précoce et tardif. En attendant la publication de nouvelles études à ce sujet, la décision des cliniciens de suturer ou non doit être fondée sur leur jugement clinique et la préférence des femmes après les avoir informées du manque de données à long terme, et le risque potentiel d’une cicatrisation plus lente, mais d’un meilleur confort probable si la déchirure n’est pas suturée.

Les pratiques diffèrent grandement selon les pays. Au Royaume-Uni on ne suture pas les déchirures de degré I. Et les déchirures de degrés II se suturent ou non, selon le lieu, le praticien, et la volonté de la femme. En France et en Suisse, on suture systématiquement les déchirures, même de degré I. Le choix de suturer ou pas n’est pas proposé, et en général les femmes ne savent pas qu’il est possible de ne pas suturer.

Pourquoi ne pas suturer ?

La réparation de la déchirure est un acte chirurgical, qui a des conséquences non seulement dans le post-partum immédiat, mais aussi sur la santé des femmes à long terme, notamment sur le plan de la sexualité. Au Royaume-Uni, des études ont montré qu’environ 20 % des femmes ont des problèmes périnéaux à long terme, comme les dyspareunies.

Dans le post-partum, il est fréquent que la sage-femme enlève des points quand la femme exprime une gêne. Plus rarement il peut y avoir des problèmes d’allergie aux fils. Sans parler du désagrément de la réalisation de la suture, un moment où la femme aimerait qu’on la laisse tranquille. La suture peut entraîner aussi des saignements supplémentaires lors de sa réalisation.

Et concrètement,  si l’on ne suture pas…

J’ai demandé à des sages-femmes qui suturent rarement comment elles appliquaient leur jugement clinique, et quels étaient les conseils ou recommandations qu’elles donnaient aux femmes en cas de non-suture.

Afin d’assurer une bonne cicatrisation, les sages-femmes conseillent de :

  • Rester allongée la plupart du temps, les jambes serrées, pas croisées.

  • Éviter la posture assise

  • Pour marcher, faire des petits pas

Les femmes ont en général naturellement ces réflexes, mais mieux vaut rappeler ces quelques précautions.

Une sage-femme dit que si elle voit que les tissus se rassemblent naturellement bord à bord quand la femme a les jambes ouvertes, alors elle ne s’inquiète pas. S’il y a une béance, ou un décalage, alors on peut suturer pour une raison esthétique. Cela peut arriver notamment pour des éraillures au niveau des lèvres qui peuvent créer une béance.

Il s’agit d’évaluer les situations au cas par cas, de discuter avec la femme du pour et du contre de la suture, et surtout de la laisser décider elle.

Certaines préféreront la suture car elles auront peu d’aide dans le post-partum pour s’occuper de la famille, et craignent de ne pas pouvoir rester au repos. Alors que d’autres, peut-être traumatisées par les suites douloureuses d’une suture précédente, refuseront les points.

Satisfaction des femmes

Selon les sages-femmes que j’ai interrogées, les retours des femmes sont très positifs concernant les déchirures du périnée non suturée. Les femmes décrivent que la cicatrisation prend environ deux semaines.

Rachel Reed témoigne: « Dans ma propre expérience de sage-femme j’ai trouvé que les périnées non suturés cicatrisaient très rapidement et avec moins de douleur que les périnées suturés. »

Personnellement, j’ai eu une expérience très positive avec une femme qui a souhaité ne pas être suturée d’une déchirure de degré II. J’étais pourtant inquiète car la déchirure était assez profonde sur le plan musculaire. Au bout de de deux semaines de repos, elle témoignait d’une excellente cicatrisation, très peu douloureuse. Peu après, elle a repris une sexualité normale. Elle est ravie d’avoir refusé la suture. Elle dit avoir eu beaucoup moins mal cette fois-ci qu’après l’accouchement précédent, où elle avait eu quelques points suite à une petite déchirure de degré I.

Pour aller plus loin, voici le mémoire de fin d’études de sage-femme d’Estelle Miconnet intitulé « Déchirures simples du périnée, quelle prise en charge : Suture ou non-suture ? » avec une étude menée en France sur la non suture des déchirures de degré I.

Rappel des définitions

Déchirure de degré I: lésion de la peau du périnée et de la muqueuse vaginale, muscles intacts.

Déchirure de degré II: lésion de la peau du périnée et de la muqueuse vaginale, qui s’étend jusqu’au fascia et à la musculature périnéale. Sphincter anal intact. L’épisiotomie est classée dans cette catégorie (à moins qu’elle ne file en déchirure III).

Déchirure de degré III: degré II + déchirure des muscles sphincters anaux.

Déchirure de degré IV: degré III + déchirure de la muqueuse rectale.


2 réflexions sur “Suturer ou ne pas suturer les déchirures de degré I et II ?

  1. Bonjour, je suis étudiante sage-femme, et je souhaite, pour mon mémoire, travailler sur la cicatrisation spontanée des déchirures simples. J’aimerai pour cela, comparer 2 populations de femmes : 1 groupe non-suture de la déchirure simple et 1 groupe suture.
    Il m’est cependant très délicat de trouver ma population non-suture… auriez vous des maternités ou maisons de naissances à me conseiller, où les déchirures de premier degré ne sont pas toujours suturées ?

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    1. Bonsoir Estelle,
      Si ma réponse n’arrive pas trop tard, il me semble que le nouveau défi que se lance le CHU de Besançon est de ne plus suturer systématiquement les déchirures de 1er et 2ème degré. Dans ma région, le CH de Thiers limite également beaucoup les sutures au profit de mèches hémostatiques). Bon courage pour ce beau sujet de mémoire !

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