Publié le 26 août 2010 et mis à jour en avril 2016 sur le blog Midwife Thinking : The Placenta: essential resuscitation equipment
Auteure: Dr Rachel Reed
Traduction: Marion de la Taille et Nathalie Donnez, sages-femmes.
Les connaissances sur les bénéfices à court et long terme du « clampage tardif du cordon » sont enfin appliquées dans la pratique. Les sages-femmes et parfois les obstétriciens se rendent compte de l’importance d’attendre que la circulation placentaire s’arrête avant d’intervenir. Personnellement je n’aime pas le terme « clampage tardif du cordon » mais préfère celui de « clampage prématuré » pour décrire les différentes pratiques à ce sujet. Mais quelque soit le terme employé, la bonne nouvelle c’est que les bébés sont « gagnants » en terme de pratique. Les principaux bénéfices sont résumés dans une revue de la Cochrane qui conclut qu’il y a :
« des bénéfices importants liés au clampage tardif du cordon chez les nouveaux-nés en bonne santé, comme un poids de naissance plus élevé, une augmentation des taux d’hémoglobine, de réserves de fer augmentées jusqu’à 6 mois après la naissance. »
Cette revue de littérature relève également que le « clampage tardif » est associé à une augmentation du risque de jaunisse chez le nouveau-né. Paradoxalement, Mercer et Skovgaard (2002), citent des études qui réfutent ce lien. Je me demande si injecter de l’ocytocine alors que le placenta fonctionne encore n’influencerait pas le risque de jaunisse. Le syntocinon IV pendant le travail a été reconnu comme facteur favorisant la jaunisse depuis 1974 (faites une recherche sur google pour plus d’informations). Toutes les études dans la revue de la base Cochrane ont été réalisées dans des maternités où la plupart des femmes ont une injection d’ocytocine pour diriger la délivrance. J’ai très rarement connu plus qu’un ictère léger suite à une naissance physiologique. Quelqu’un cherche un sujet de recherche ?
Réanimation et clampage prématuré du cordon
Cet article explore la pratique du clampage prématuré du cordon lorsqu’un bébé a besoin d’être réanimé. J’entends souvent des récits d’accouchement avec « ils ont (ou j’ai) du couper le cordon parce que le bébé avait besoin d’être réanimé ». Dans les ateliers de réanimation néo-natale à l’hôpital les praticiens apprennent 1- évaluer le nouveau-né; 2-appeler du renfort; 3-clamper et couper le cordon; 4-emmener le bébé dans la salle de réanimation, etc… Pour des raisons évidentes réanimer un bébé est stressant et je comprends l’intérêt pour les sages-femmes et médecins d’être dans une pièce spéciale, propre et adaptée sans les parents inquiets qui regardent et posent des questions. Toutefois, cette approche n’a aucun sens si vous considérez la physiologie de l’adaptation à la vie extra-utérine, ou bien l’importance du rôle de la mère dans l’adaptation du nouveau-né et ce d’autant plus dans le cas d’une éventuelle réanimation.
Physiologie de l’adaptation du nouveau-né
Celle-ci est extrêmement complexe et sans doute très ennuyeuse pour ceux qui ne s’intéressent pas aux sciences ou la physiologie. Si vous voulez une version scientifique complète lisez l’article de Mercer et Skovgaard (2002). En voici une version simplifiée…
Le bébé/placenta a un système sanguin différent de celui de la mère. Le placenta joue le rôle de poumon permettant les échanges gazeux (oxygène et dioxyde de carbone) via la chambre intervilleuse, entre le système sanguin du bébé et celui de sa mère. Avant la naissance, un tiers du volume sanguin du bébé/placenta est dans le placenta en permanence afin de faciliter ces échanges gazeux.
Après la naissance, ce « sang placentaire » est transféré au bébé par le cordon augmentant ainsi le volume sanguin circulant chez le bébé. Ceci a deux effets majeurs :
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Fournir au bébé le volume sanguin nécessaire au cœur pour diriger 50% de celui-ci vers les poumons (8% avant la naissance). Ce sang supplémentaire remplit les capillaires pulmonaires permettant ainsi leur expansion ceci supportant l’ouverture des alvéoles. Elle facilite également la clairance pulmonaire fluide des alvéoles. Ces modifications permettent au bébé de respirer de manière efficace.
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Augmenter le nombre d’hématies circulantes lesquelles transportent l’oxygène. Ceci augmente les capacités du bébé à envoyer l’oxygène dans tout son corps.
Ce transfert du volume sanguin du placenta aux poumons a lieu dans les minutes qui suivent la naissance. Les livres vous diront 3-7 minutes mais j’ai senti des cordons battre pendant bien plus longtemps que cela. Pendant que ces changements se font, le placenta continue à fournir de l’oxygène au bébé jusqu’à ce que celui-ci soit prêt à commencer à respirer.
La plupart des bébés vont se mettre à respirer rapidement après la naissance et le clampage prématuré du cordon ne va pas avoir d’effet immédiat remarquable. Cependant, une étude récente a montré que les nouveaux-nés sains ont un risque augmenté de mortalité ou d’admission en néonatalogie si le clampage du cordon se produit avant ou immédiatement après l’initiation de la respiration spontanée (Ersdal et al. 2014). La plupart des bébés sont capables de compenser ce manque de volume sanguin en réajustant leur circulation afin de diriger le volume sanguin réduit aux organes nobles. Les effets de la réduction du volume sanguin seront discrets mais tout de même présents (voir la revue Cochrane citée plus haut). Si vous avez l’opportunité d’entendre Karen Strange parler de l’adaptation néonatale à la vie extra-utérine – saisissez-la. Elle montre des photos des capillaires sanguins du talon d’un nouveau-né qui a eu un clampage prématuré de cordon, comparé à un bébé qui n’en a pas eu. Les petits capillaires sanguins ont disparu – ils se sont collapsés afin d’envoyer le volume de sang réduit dans les organes importants.
Le besoin de réanimation
Il y a deux raisons pour lesquelles les soignants décident de pratiquer le « clampage précoce du cordon » chez tous les nouveaux-nés et de le clamper/couper afin de réanimer un bébé en difficulté. Dans les deux cas ceci va être préjudiciable au bébé. Dans le premier cas, cela peut tout simplement susciter le besoin de réanimer.
1. Manque de connaissance et de patience (et juste un peu de panique)
Ceci arrive très souvent quand le bébé est lent à mettre en route sa respiration. Celui-ci est toujours oxygéné par le placenta et se relaxe grâce aux effets de l’augmentation de son volume sanguin. C’est particulièrement courant avec les bébés nés dans l’eau. Ceux-ci ont un bon tonus et leur couleur vire très lentement du bleu au rose. Il est même parfois difficile de remarquer lorsqu’ils démarrent leur respiration. Le changement de couleur peut être la seule indication évidente de leur adaptation. Le cordon bat au même rythme que le cœur du bébé, et le sentir (ou le voir) va vous rassurer sur le fait que tout va bien. Malheureusement, la réponse habituelle à cette situation est de couper le cordon pour réanimer le bébé. En réponse à l’arrêt de la circulation placentaire et au stress de la séparation d’avec sa mère le bébé va pleurer. Mais une autre issue possible est que le bébé, privé de la circulation placentaire, ne soit pas capable de s’adapter à la vie aérienne, et qu’il nécessite alors une réanimation.
Ce film montre une naissance hors de la maison (la mère n’a pas pu arriver jusqu’à la tente prévue pour la naissance) : le bébé s’adapte tranquillement sans être bousculé et soutenu par la circulation placentaire.
Cette autre video montre un bébé qui vit également une adaptation douce à la respiration.
2. Un bébé en difficulté
Voici un bébé qui a passé un moment difficile pendant sa naissance et qui aurait bien besoin d’un peu de soutien pour s’adapter à la vie extra utérine. Cette situation est bien souvent la conséquence d’une série d’interventions pendant sa naissance comme la poussée dirigée, la rupture artificielle des membranes, la perfusion de syntocinon. Cela peut aussi être du à une circulaire serrée réduisant le flux sanguin juste avant la naissance (un cordon lâche ne provoquant jamais cela). Un bébé en difficulté est mou et sa couleur va du bleu au blanc. Il se peut aussi qu’il ait émis du méconium pendant l’accouchement, et son rythme cardiaque est peut-être lent ou en train de ralentir. Ce bébé pourrait sûrement démarrer avec un peu d’aide mais il a surtout besoin de la circulation placentaire. Tant que le cordon est intact, le bébé reçoit toujours de l’oxygène ce qui est mieux que rien. De plus, le volume sanguin et l’hémoglobine supplémentaires vont l’aider à transporter chaque molécule d’oxygène qu’il recevra au niveau de ses poumons via une réanimation. Voici la vidéo d’un bébé en difficulté en train d’être réanimé en maintenant la circulation placentaire.
Importance de la mère et de la famille dans la réanimation
Il est très important que la mère, le père ou n’importe quelle autre personne concernée soit impliqué dans la réanimation de ce bébé en difficulté.
Pour le bébé
Un bébé a passé des mois entiers dans le ventre de sa mère et il connaît sa voix et son odeur. Il a aussi appris à connaître la voix de son père et/ou de tout autre membre de la famille. Qu’on le tienne tendrement enlacé, qu’on lui parle et qu’on le caresse est souvent suffisant pour que la respiration démarre. Même s’il a besoin de plus, être tenu par sa mère en peau à peau, plutôt que d’être posé sur une table de réanimation sera sûrement plus efficace.
Pour la mère, le père et/ou les autres membres de la famille
Pouvoir toucher et voir leur bébé est sûrement moins stressant que de savoir qu’il subit des interventions à l’autre bout de la pièce. Être impliqué dans l’assistance donnée au bébé pour son « démarrage » renforce les parents dans leur rôle. Les pères sont souvent très fiers d’avoir été celui qui a encouragé le premier souffle de leur bébé en soufflant doucement sur son visage. En plus les mères savent souvent instinctivement comment aider leur bébé. Je me souviens d’une mère me disant qu’elle sentait que son bébé avait besoin d’être dans une certaine position contre sa poitrine. Quand elle l’a installé ainsi sa respiration est devenue parfaitement régulière.
Suggestions
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Assurez-vous que votre bébé ne se trouvera pas en difficulté en minimisant les interventions inutiles.
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Ne clampez pas ou ne coupez pas le cordon
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Donner au bébé du temps pour son adaptation. Si le cordon bat encore, le placenta fournit toujours de l’oxygène au bébé…détendez vous et rassurez la maman si elle en a besoin.
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Ne clampez pas ou ne coupez pas le cordon
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Si le bébé a besoin d’assistance, commencez lentement, par une stimulation douce, en lui parlant, en lui soufflant sur son visage (cela peut-être fait par un des deux parents)
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Ne clampez pas ou ne coupez pas le cordon
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Si d’autres soins sont nécessaires, apportez le matériel de réanimation près du bébé et réanimez-le dans les bras de sa mère.
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Et j’allais oublier : Ne clampez pas ou ne coupez pas le cordon
Note : l’aspiration systématique du nouveau-né est totalement inutile, invasive et peut potentiellement créer des problèmes en stimulant une réponse vagale (une chute du rythme cardiaque). Vous trouverez des photos incroyables d’un bébé réanimé dans les bras de sa mère ici.
J’entends souvent dire que les soignants sont incapables de réaliser une réanimation avec le cordon intact en milieu hospitalier en raison de la manière dont l’équipement est installé (fixé au mur). Je pense que cela changera. Il y a une prise de conscience grandissante de l’impact du clampage précoce du cordon – les avocats cherchent des motifs d’accusation. Les ambulanciers de Queensland réaniment maintenant les nouveaux-nés sans couper leur cordon ombilical. Si des ambulanciers peuvent le faire dans des conditions loin d’être idéales, alors pourquoi le personnel hospitalier ne pourrait-il pas? Il faut que dans les hôpitaux ce soit les équipements et le personnel qui s’adaptent aux besoins du bébé, et non l’inverse. Une étude qualitative intéressante explore les perceptions des cliniciens sur la réanimation néonatale aux côtés de la mère (Yoxall et al. 2015). Cependant, appliquer une pratique basée sur les preuves scientifiques ne peut dépendre des perceptions des cliniciens sur cette pratique.
Résumé
Les bébés naissent avec leur propre matériel de réanimation. Non seulement le placenta aide le bébé à s’adapter à la vie extra-utérine, mais il l’aide aussi si une réanimation est nécessaire. Il n’y a pas de raison de clamper et couper le cordon chez un bébé qui a besoin d’aide. Ceci peut engendrer plus de problèmes pour le bébé et la mère. Tout ce qui a besoin d’être réalisé peut être fait avec le soutien du placenta et l’implication de la maman.
Lectures et Ressources supplémentaires
Mercer Skovgaard et Erickson-Owens (2014) – ‘Is it time to rethink management when resuscitation is needed?’ Journal article
Sur le site internet de Nurturing Hearts Birth Services on peut voir une séquence de photos exceptionnelles prise d’un cordon après la naissance en train de terminer le transfert de volume sanguin.
Nicholas Fogelson (obstétricien) fait une présentation très claire sur la recherche concernant le clampage précoce ici. L’aspect éthique de la recherche est discutable mais espérons que les résultats aideront à impulser un changement dans la pratique.
Une interview très intéressante et appelant à réflexion du Dr Mercer.
George M Morley a écrit un article très fouillé à propos de la physiologie de l’adaptation du nouveau-né à la vie aérienne, et de la réanimation.
Science and Sensibility fait une revue de littérature.
NdT : Les liens indiqués sont en anglais…